Vous avez travaillé dans le privé avant de vous orienter en 2007 vers l'enseignement. Que retenez-vous de ce passé professionnel ?

Il a été très riche et diversifié. Avec ma formation d'ingénieur, j'ai travaillé 15 ans dans un grand groupe industriel où j'ai occupé différents postes fonctionnels et opérationnels dans plusieurs filiales. J'ai pris en charge l'organisation de projets d'amélioration de qualité, de sécurité et de productivité de différentes usines. Puis, j'ai été responsable d'un atelier où je supervisais des chefs d'équipes. J'ai ensuite souhaité m'orienter vers les ressources humaines. J'ai piloté une antenne emploi chargée de replacer les salariés d'usines qui fermaient, puis j'ai été responsable formation et enfin RRH d'une usine. Mon évolution passait ensuite par une mobilité géographique. Mais j'ai refusé pour des raisons familiales. J'ai quitté le groupe pour devenir consultante en rémunération dans un cabinet de conseil américain. J'y suis restée un an. Cette fonction ne m'a pas beaucoup plu. Entre-temps, j'ai eu mon troisième enfant. J'avais du mal à tout gérer. J'ai préféré démissionner et j'ai arrêté de travailler pendant deux ans. Mais très vite, j'ai eu envie de reprendre une activité.

 

Comment le choix de l'enseignement s'est-il présenté à vous ?

J'avais un ami qui était intervenant extérieur en anglais en primaire dans ma ville. Il m'a dit que la mairie cherchait un nouvel intervenant. Comme j'avais un très bon niveau d'anglais (j'ai vécu en Angleterre), je me suis dit pourquoi pas. C'était aussi l'occasion de voir si l'enseignement m'intéressait. J'ai suivi une procédure d'habilitation que j'ai obtenue. J'ai été intervenante extérieure pendant deux ans. J'enseignais l'anglais une à deux heures à 18 classes. Les conditions n'étaient pas très satisfaisantes, j'étais très mal payée, mais l'expérience de l'enseignement m'a suffisamment plu pour que je me décide à passer le concours de professeurs des écoles.

 

Quelle a été la réaction de votre entourage face à cette décision ?

Neutre voire pas très enthousiaste. Une de mes amies m'a demandé pourquoi je voulais enseigner alors que j'avais eu une si belle expérience professionnelle dans le privé. C'est là que je me suis rendue compte à quel point le métier d'enseignant était (et est toujours) dévalorisé, en particulier en France. Mais je suis passée outre, car je connais la valeur de ce que nous faisons. Savez-vous qu'en Chine, le professeur est surnommé « l'ingénieur de l'âme » ?

 

Comment avez-vous préparé le concours ?

Je l'ai préparé chez moi par le CNED. J'y ai consacré deux à trois heures le matin, puis quinze jours avant l'échéance, je me suis mise à travailler comme si j'étais en classe prépa, à raison de dix heures par jour. Je n'ai pas rencontré de difficultés particulières que ce soit à l'écrit ou à l'oral, mais si j'avais fait l'impasse sur la préparation, je ne pense pas que j'aurais eu le concours. Il demande tout de même d'avoir des connaissances très spécifiques, en didactique notamment.

 

En quoi votre expérience du privé vous est-elle profitable dans la pratique de votre métier aujourd'hui ?

Dans le privé, on me donnait des objectifs et j'avais une certaine latitude pour les atteindre. Je continue à fonctionner comme ça depuis que je suis enseignante, avec le même volontarisme. Par ailleurs, dans mes anciennes fonctions en entreprise, j'ai toujours eu à coeur d'amener les salariés, ouvriers ou cadres, à leur meilleur niveau, de trouver les moyens les mieux adaptés pour les faire progresser. Ce goût pour l'apprentissage est ce qui me motive aussi aujourd'hui, même si le public est différent.

 

Justement vous avez enseigné à des enfants en maternelle et en élémentaire, mais aussi à des jeunes handicapés. 

Oui j'ai fait des remplacements dans des établissements régionaux d'enseignement adapté. J'ai beaucoup aimé et appris de cette expérience. Quand on se trouve face à des enfants handicapés, on n'a pas d'autre choix que de se mettre à leur niveau, de bien comprendre quelles sont leurs capacités d'apprentissage pour pouvoir les faire avancer. C'est très formateur. On fait beaucoup de travail individuel, on peut se le permettre car les classes sont composées de peu d'élèves. J'ai notamment travaillé avec 6 enfants sourds de 12 ans dont deux sourds profonds qui n'avaient jamais été à l'école. J'ai été étonnée par leur forte motivation, et malgré leur handicap, ils avaient des capacités de raisonnement assez étonnantes, notamment en mathématiques. Voir ces élèves progresser est très motivant.

 

Depuis la rentrée 2015, vous travaillez dans une école qui sera bientôt classée en réseau d'éducation prioritaire. Comment vivez-vous cette affectation ?

C'est moi qui ai demandé cette école, car on m'en avait dit du bien en terme d'ambiance et c'est un aspect très important dans les conditions de travail. La situation des écoles en REP est très variable d'un établissement à l'autre. J'ai 22 élèves de petite et moyenne sections. Certains ont un très bon niveau scolaire, d'autres savent à peine s'exprimer et ce problème de langage est un des problèmes majeurs dans ces réseaux. Certains enfants sont très peu stimulés par leur environnement, mais tout à fait capables d'apprendre et leur présence régulière à l'école permet des progrès visibles, on se sent utile ! Par contre, je ne suis pas confrontée cette année à des problèmes de comportement ni de violence. Ce ne sera pas toujours le cas. Il suffit parfois d'un élève hermétique à toute autorité ou en grosse difficulté relationnelle pour perturber totalement une classe. Mais il faut bien avoir à l'esprit que l'on peut trouver ce genre de cas partout, même en zone ordinaire ou « favorisée ». 

 

Êtes-vous aidée par une ATSEM ?

Oui. Elle travaille à temps plein et dans l'école depuis plusieurs années. Son rôle est important tant pour la bonne gestion de la classe que pour l'assistance pédagogique.  Il est difficile en maternelle de travailler avec tous les élèves à la fois excepté pendant les temps de regroupement. Lorsque je travaille avec un petit groupe d'enfants et que les autres commencent à perturber la classe, l'ATSEM intervient tout de suite pour les calmer. Elle a aussi une façon bien à elle de s'occuper des enfants. Son aide est très précieuse.

 

Quel est votre avis sur la réforme des rythmes scolaires ?

Je trouve que la réforme des rythmes scolaires est bien pour les enfants - ils gagnent 20% d'apprentissage en plus -, pourvu que le raccourcissement de la journée scolaire ne soit pas compensé par un allongement du temps périscolaire ! Ce qui n'est malheureusement pas le cas pour bon nombre d'enfants. Le temps passé en collectivité, quel qu'il soit, génère une fatigue nerveuse. Certains parents estiment que leurs enfants sont plus fatigués. Je pense que c'est une question d'adaptation. Par contre, sur le plan personnel, c'est épuisant. J'aurais préféré enseigner le samedi matin plutôt que le mercredi matin. La coupure du mercredi nous était vraiment utile pour recharger nos batteries, surtout face à des classes difficiles.

 

Quels avantages et inconvénients trouvez-vous à votre métier par rapport à votre expérience dans le privé ?

Comparés aux salariés du privé, j'ai plus de vacances, mais elles sont largement méritées. Je n'ai pas de patron sur le dos et j'ai une grande liberté pédagogique pourvu que je respecte les programmes. Mon supérieur hiérarchique est l'inspecteur de circonscription qui n'est pas sur place et que je ne vois au mieux qu'une fois tous les trois ans, lors de l'inspection. L'inconvénient c'est qu'un patron est aussi là pour encourager, échanger, stimuler et reconnaître ce que vous faites. Ce qui personnellement me manque assez. Comme d'ailleurs le travail d'équipe. On travaille peu entre adultes, même si l'on se retrouve tous les midis en salle des maîtres. Mes horaires peuvent sembler légers mais mes journées sont très fatigantes physiquement et psychiquement. Elles démarrent aussi très tôt. Je suis à l'école à 7h45 presque tous les matins. Je connais beaucoup de cadres qui démarrent à 9h-9h30. Par ailleurs, je suis sur le pont tout le temps, la pause de midi est souvent consacrée aux réunions ou aux préparations. Impossible de m'asseoir à mon bureau pendant trois quart d'heure pour souffler. C'est un métier qui est très contraint par les jours de classe et les horaires. On ne peut pas arriver en retard, ni poser une RTT pour se rendre à un rendez-vous. C'est encore plus compliqué maintenant que nous n'avons plus le mercredi matin… Enfin, pour avoir travaillé dans un cabinet de conseil en rémunération et avoir étudié les critères qui permettent de déterminer un salaire, je trouve qu'un professeur des écoles n'est absolument pas rémunéré à la hauteur de ses responsabilités.

 

Vous avez trois enfants. Que vous apporte cette situation de maman d'élèves et d'enseignante dans la pratique de votre métier ?

On s'aperçoit que si l'éducation que l'on donne à ses enfants compte beaucoup dans leur réussite scolaire, tout n'est pas forcément de la faute des parents, comme je l'entends parfois dire en salle des maîtres. Chaque enfant est différent, on a les enfants que l'on a et les parents font ce qu'ils peuvent, une grande majorité - même dans les quartiers difficiles - souhaite la réussite de leur enfant, mais certains ont besoin d'être aidés.

 

Avez-vous quelques conseils pour aider les futurs professeurs des écoles ?

Il faut avoir une réelle envie d'enseigner dès le départ et ne pas s'orienter vers ce métier uniquement parce qu'on aime les enfants. Quand on est dans une classe, on est face à des élèves. C'est complètement différent de la colonie de vacances. Il faut avoir conscience que la route est longue, que ce n'est pas facile, que quelle que soit sa formation, on va surtout apprendre sur le terrain ou en échangeant avec les collègues. Il faut être solide mentalement et physiquement, ne pas se décourager. Souvent lorsqu'on arrive dans une école, les répartitions des élèves ont déjà été faites et parfois, on peut tomber dans la classe avec les pires élèves, ceux dont personne ne veut. Il faut savoir prendre un peu de recul et garder une vie équilibrée. Et enfin, on n'est pas non plus obligé de faire ce métier toute sa vie, même si c'est un très beau métier !