Didier, 42 ans, est professeur des écoles en maternelle en Haute-Vienne (87).
J'ai toujours voulu être enseignant. J'adorais les maths, je donnais des cours à des collégiens et des lycéens, cela me plaisait beaucoup et je voulais devenir professeur de mathématiques dans le secondaire. A l'époque, le métier présentait encore pas mal d'avantages notamment au niveau de la retraite. Mais j'ai raté deux fois le CAPES de maths. En 1997, j'ai fait mon service militaire en VSL (volontaire service long de 24 mois) dans la Gendarmerie. J'avais dans l'idée de passer le concours d'officier de gendarmerie. Entre-temps, en 1998, j'ai obtenu le concours d'entrée à l'IUFM. J'ai effectué ma première année à Limoges, mais un accident m'a fait échouer au concours. Je l'ai repassé l'année suivante en candidat libre et je l'ai obtenu. J'ai fait ma deuxième année à Guéret en Creuse en 2000.
Je n'étais pas suffisamment bien classé pour avoir mon premier voeu. J'ai dû « m'expatrier » dans un département voisin, la Creuse. J'y ai passé les onze premières années de ma carrière, très enrichissantes humainement et professionnellement, d'abord en tant que titulaire remplaçant intervenant dans le cadre de la brigade départementale. Pendant 5 ans, je remplaçais les enseignants en congé maladie ou maternité. Je me suis occupé de tous les niveaux, de la petite section de maternelle jusqu'au CM2. J'ai aussi enseigné en Segpa et dans des Instituts médico-éducatifs pour enfants et adolescents. En 2005 et 2006, j'ai effectué deux remplacements longs en maternelle. C'est là où s'est développée ma vocation pour enseigner en grande section. J'ai aussi occupé la fonction de directeur d'école maternelle pendant un an, puis obtenu un poste d'adjoint moyenne-section/grande section pendant quatre ans en milieu rural dans un petit bourg de l'ouest creusois. Enfin, depuis quatre ans, j'ai regagné mon département d'origine la Haute-Vienne où je suis enseignant titulaire en maternelle dans la commune de mon domicile, après 14 ans de longs trajets quotidiens.
Je pense que c'est sociétal. Le regard de la société est différent lorsque vous êtes un homme enseignant en maternelle. Autant personne n'est choqué de voir un enfant assis sur les genoux d'une maîtresse en train de lui faire un câlin, autant dès que c'est un homme, la suspicion s'installe. Personnellement, je fais très attention à ça, beaucoup plus que mes collègues femmes. J'ai parfois des enfants qui ont des élans d'affection envers moi, j'essaye d'y mettre une distance professionnelle, mais il ne faut pas oublier qu'à cet âge, ils ont aussi besoin d'être cajolés et rassurés. La rareté des maîtres en maternelle peut aussi venir du fait que les hommes ont moins d'attirance et d'affinités pour ce niveau d'élèves. Je trouve dommage qu'il n'y ait pas plus d'hommes en maternelle, d'abord pour l'ambiance de travail qui s'avère parfois conflictuelle lorsqu'il n'y a que des maîtresses, et aussi pour l'approche avec les élèves.
Le rapport à l'autorité est différent avec un homme, il est moins axé sur l'affect. La présence d'une maîtresse rappelle au très jeune enfant le côté maternel, affectueux et rassurant, qui lui manque en l'absence de sa maman, mais une présence masculine peut être complémentaire et importante dans une société où de plus en plus d'enfants sont issus de familles monoparentales ou avec des parents séparés parfois dès leur plus jeune âge. Mais l'autorité n'est pas affaire de sexe pour autant, loin de là, c'est une qualité individuelle avant tout. Un homme peut également avoir une sensibilité (artistique par exemple) différente et parfois apporter des compétences complémentaires utiles à une équipe (techniques, informatiques, etc).
En maternelle, les enseignants travaillent beaucoup en équipe. On mutualise, on décloisonne, on fait des « échanges de service » c'est-à-dire qu'un enseignant prend le groupe d'une autre classe. C'est très fréquent, on peut se le permettre, on est un peu moins sous la pression des programmes même si on a des objectifs précis à respecter, on prend le temps. En élémentaire, l'enseignant est souvent seul face à sa classe. Il doit tenir le programme, il est pris dans le carcan de ses objectifs, il travaille un peu plus sous pression, des parents notamment. Il y a peut-être moins de place pour le travail d'équipe et la mutualisation surtout dans les grosses écoles. Les corrections sont aussi très chronophages en élémentaire. J'ai eu des CM en début de carrière, je passais trois heures tous les soirs sur les cahiers. Par contre, le temps de conception des activités et de préparation en amont de tous les supports matériels est très important en maternelle et heureusement que les ATSEM sont là pour nous y aider !
En maternelle, les enfants sont forcément plus remuants, plus bruyants. Ils sont moins « posés » qu'en élémentaire. Ils vous accaparent tous individuellement, il est parfois difficile de les calmer. Pris séparément, ils sont très mignons, très attachants, mais l'effet de groupe est très lourd à porter. D'autant plus que les effectifs des classes augmentent. Gérer 30 enfants de 4-5 ans et privilégier l'oral comme on nous le demande avec chacun d'entre eux, cela demande beaucoup d'énergie. D'où cette fatigue nerveuse et physique aussi (on est rarement assis) que ressentent beaucoup d'enseignants et dont ne se doutent pas forcément les plus jeunes. Pour ma part, j'ai l'impression de la subir davantage aujourd'hui qu'au début de ma carrière.
L'ATSEM joue un rôle très important dans le fonctionnement de l'école maternelle. C'est une aide au quotidien indispensable. Etre enseignant en maternelle et pouvoir s'appuyer sur une très bonne ATSEM facilite le travail de manière considérable. J'en ai connu beaucoup et je me rends compte par expérience que s'il se créé une vraie complicité entre un enseignant et son ATSEM, il n'est même plus nécessaire de se parler, un regard échangé suffit pour se comprendre. Bien sûr, parfois les relations entre ATSEM et enseignant, ou ATSEM et directeur d'école, se passent mal, des affinités se créent ou pas comme dans tous les rapports humains.
Dans les petites écoles rurales, l'ambiance est très familiale, plus « protectrice », il existe une grande proximité relationnelle, tout le monde se connait. C'est un avantage comme un inconvénient. En ville, les relations sont plus impersonnelles. J'ai enseigné un an dans un groupe scolaire de Limoges de 13 classes. C'était très différent. Cela ressemble un peu à une « usine ». Je préfère de loin les ambiances rurales.
Il y avait beaucoup de travail administratif à fournir, de grosses responsabilités à assumer, une forte pression parentale et hiérarchique, pour une petite compensation financière. L'indemnité a un peu augmenté depuis, comme le temps de décharge d'enseignement. Mais c'est un métier qui intéresse de moins en moins de monde. Dans certaines zones rurales, personne ne veut s'en occuper. J'ai vu de jeunes collègues quasiment obligés de le faire en début de carrière. Si on me le proposait aujourd'hui, je le ferais peut-être, j'ai plus d'ancienneté et d'expérience. J'ai d'ailleurs passé l'entretien pour la liste d'aptitude à la direction d'école en février dernier. Si le résultat est positif, je peux demander ce poste au mouvement.
Oui. Moi-même si j'étais jeune aujourd'hui, je ne sais pas si j'aimerais toujours devenir enseignant. Financièrement, ce n'est pas avec ce métier que l'on fait fortune. Notre pouvoir d'achat a beaucoup baissé, le point d'indice est gelé depuis de nombreuses années, le système d'avancement est très archaïque, l'évolution salariale est faible surtout en comparaison d'autres pays européens comme l'Allemagne par exemple où un enseignant de primaire gagne beaucoup plus à ancienneté égale, l'avantage de la retraite a quasiment disparu. Il existe également une forte inégalité salariale entre le premier et le second degré à niveau de recrutement identique. On est peu soutenu par l'institution et par la société Je comprends très bien qu'il y ait une désaffection. Ce n'est plus un métier qui fait rêver. Seul le statut "protecteur" de fonctionnaire d'Etat et la sécurité de l'emploi afférente restent un réel avantage, mais je ne pense pas que ça suffise à attirer les jeunes.
Oui, j'aime beaucoup le fait de transmettre des connaissances, d'aiguiser la curiosité des enfants, ils sont à un âge où ils sont très curieux, très avides d'apprendre. J'apprécie surtout le rapport humain avec les enfants de grande section. Ils ne sont pas trop petits, assez autonomes, ils ont encore leur « innocence », ils sont surtout très respectueux ce qui n'est plus forcément toujours le cas avec les pré-ados de 10-11 ans. Ce métier me permet aussi de bénéficier d'une grande liberté pédagogique et d'organisation de travail. Même si la hiérarchie existe et que l'on doit lui rendre des comptes, elle n'est pas omniprésente contrairement à certains métiers du privé. Ce qui est très appréciable.
Soyez sûrs d'avoir la vocation, ne faites pas ce métier pour de mauvaises raisons, croyez en ce que vous faites et ayez confiance en vous. N'hésitez pas à prendre du recul et préservez-vous. Il faut tenir sur le long terme, c'est une course d'endurance, le métier peut user. Gardez des soupapes de « sécurité », pratiquez si possible des loisirs, côtoyez des personnes issues d'autres milieux professionnels pour parler d'autre chose. Et pour les hommes qui veulent enseigner en maternelle, je leur conseille vivement de faire fi des préjugés et de se lancer car il n'y en a pas assez, mais en faisant attention à être prudents et irréprochables dans leur relation avec les enfants.